Les Évangiles sont-ils fiables ?

L’auteur de ce livre est directeur de Tyndale House, un grand centre de recherche biblique situé à Cambridge. Spécialiste reconnu du Nouveau Testament, Peter Williams a notamment dirigé avec Dirk Jongkind l’édition d’un Nouveau Testament grec paru en 2017 (THGNT). Dans ce petit livre traduit de l’anglais (Can We Trust the Gospels ? Crossway, 2018), Williams plaide en faveur de la fiabilité des Évangiles. Il s’adresse à « ceux qui réfléchissent pour la première fois à ce sujet » (p. 9), l’idée n’étant « pas de prouver que les Évangiles sont véridiques, mais de démontrer qu’il est possible de leur faire confiance de manière rationnelle » (p. 116). Il cherche ainsi à répondre aux arguments de la critique moderne qui, par ses attaques (directes ou indirectes), sape l’autorité des Évangiles et, plus largement, des Écritures.

Le premier chapitre (« Que disent les sources non-chrétiennes ? ») exploite les écrits de trois auteurs non-chrétiens qu’on ne peut soupçonner de sympathie pour le christianisme naissant (p. 13). Tacite, Pline le Jeune et Flavius Josèphe confirment plusieurs éléments centraux du Nouveau Testament : 1°) la mort de Jésus-Christ sous Ponce Pilate en Judée entre 26 et 36 ; 2°) l’adoration par les premiers chrétiens de Christ comme Dieu et 3°) les persécutions subies par les premiers chrétiens (p. 30). Le chapitre 2 est une présentation efficace des quatre Évangiles : il est question de leurs auteurs, des rapports qu’entretiennent leurs écrits (entre eux et avec la source Q – de l’allemand Quelle, « source ») et de leur datation. Pour l’auteur, nos quatre Évangiles se sont rapidement imposés comme une collection particulière d’écrits formant un tout reçu par les chrétiens de toutes origines, sans qu’un groupe soit suffisamment puissant pour imposer cette collection (p. 33). Il plaide également en faveur d’une rédaction antérieure à 70 apr. J.-C. (du moins pour les synoptiques) et identifie l’obstacle majeur empêchant les spécialistes Juifs et agnostiques de le suivre en ce sens. Ces derniers partent du principe que tout événement décrit dans un texte a nécessairement déjà eu lieu. Le discours de Jésus sur la destruction de Jérusalem pose donc problème car il faut accepter la possibilité du discours prophétique pour valider une rédaction précoce (p. 43 ; à ce sujet voir aussi p. 75 s.).

Le chapitre 3 (« Les auteurs des Évangiles maîtrisaient-ils leur sujet ? ») est de loin le plus original. L’auteur y soumet le texte des Évangiles à plusieurs « tests » (géographique, patronymique, religieux, botanique, etc.) afin d’éprouver leur véracité. L’idée est de vérifier si, oui ou non, les auteurs des Évangiles témoignent d’une véritable connaissance de l’époque et des milieux qu’ils dépeignent. Le chapitre suivant (4) aborde la question des « coïncidences fortuites » : les écrivains donnent des détails si particuliers et complémentaires sur certains personnages du Nouveau Testament que la manière la plus simple d’en rendre compte est de considérer qu’ils décrivent bel et bien des personnages réels. Dans ces deux chapitres, l’auteur remet en question l’idée selon laquelle il existerait une distance importante entre le ministère de Jésus d’une part et la rédaction des manuscrits des Évangiles d’autre part. Le chapitre 5 s’attache à montrer que Jésus est bien l’auteur des paroles qui lui sont prêtées par les quatre évangélistes. Williams y présente, en opposition aux théories formulées par E. Renan aux XIXe s., un Jésus parlant aussi bien hébreux, grec qu’araméen et capable de s’adresser aux foules dans ces trois langues (p. 105).

Codex Sinaiticus-Matthieu 6, 4-32

Le chapitre 6 est à lire absolument. Il se penche sur la fidélité de la transmission des manuscrits du Nouveau Testament et sur la question du Texte reçu (p. 111). Pour lui, les recherches récentes sur les manuscrits attestent massivement d’une transmission fidèle. Si les passages contestés (la finale de Marc, Jean 7, 53 – 8, 11 ainsi que plusieurs versets isolés) ne peuvent remettre en question la fiabilité du reste de l’Évangile, ils témoignent à la fois de l’existence d’une multiplicité de manuscrits mais aussi de l’absence d’autorité centralisée en mesure d’imposer une uniformité (p. 113). Ici comme au chap. 2, Williams valide à partir des manuscrits les vues classiques du protestantisme qui insiste, contre Rome, sur l’absence d’instance capable d’authentifier et d’autoriser le texte biblique, ce dernier s’étant imposé par lui-même et un peu partout à la fois

Le chapitre 7 est à vrai dire plus informatif que démonstratif. Il passe rapidement sur les contradictions internes présentes dans les Évangiles, soulignant que la plupart d’entre elles trouveront une résolution, pourvu qu’on prenne la peine d’y réfléchir sérieusement. Le dernier chapitre (8. Qui donc voudrait inventer pareille histoire ?) aborde les deux questions les plus difficiles à accepter pour la raison : les miracles et la résurrection. Pour Williams, les miracles cessent d’être étranges dès l’instant où l’on prend conscience que l’univers a été créé par Dieu ; la résurrection de Jésus est quant à elle l’explication la plus simple des faits rapportés par l’Évangile.

Chris et deux disciples sur le chemin d’Emmaüs- Rembrandt

Le livre de Peter Williams est facile d’accès. Il offre au lecteur une introduction de qualité aux Évangiles (et au Nouveau Testament), ainsi qu’une mine d’informations utiles pour comprendre les débats qui existent autour de la rédaction et de la diffusion des premiers manuscrits chrétiens. Appuyé sur des recherches académiques récentes et solides, il propose des réponses sérieuses aux théories érudites de la critique moderne dont le récent ouvrage de K. Schmid et J. Schröter est une belle synthèse (Aux origines de la Bible, Genève, Labor et Fides, 2021). Williams a parfois le bon sens de (re)formuler des principes simples mais libérateurs lorsque l’on est confronté à des théories aussi complexe que celle des couches rédactionnelles : la charge de la preuve incombe à l’« accusation », ou encore : l’explication la plus simple est parfois la meilleure. Pour autant, et l’auteur le reconnaît en partie, les arguments présentés ne suffiront pas à convaincre les agnostiques. Il faut en effet un miracle pour croire car la raison est elle aussi corrompue depuis la Chute : « Dieu n’a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ? » (1 Co 1, 20). La raison ne peut que s’épuiser à tenter d’expliquer le miracle du tombeau vide. C’est sans doute le dernier chapitre et sa conclusion qui font le plus ressortir les limites de l’entreprise d’apologétique rationnelle mise en œuvre par l’auteur : « Si l’histoire de Jésus dans les Évangiles est fondamentalement véridique, il s’ensuit logiquement que nous devrions abandonner la propriété de nos vies à Jésus-Christ afin de le servir car il a dit et répété dans chacun des Évangiles : “Suivez-moi !” » (p. 136). Cette réserve n’enlève rien aux vraies qualités de ce livre que j’ai beaucoup apprécié et que je recommande pour son approche à la fois pédagogique et synthétique.

François Bernard

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